Opinion Gérard Bouchard

TRUMP ET LE POPULISME Le grand paradoxe

On a beaucoup écrit sur la présidence de Donald Trump. Il subsiste pourtant un aspect très important qui a été relativement peu commenté. Il s’agit de l’étonnant paradoxe qui entoure sa gouvernance.

Les leaders populistes que l’on connaît s’assurent l’appui du peuple et, en retour, adoptent ou, du moins, promettent des mesures qui l’avantagent. La recette est simple, pourvu qu’on s’abaisse à exploiter honteusement l’insécurité, la précarité et le mécontentement des infortunés.

La manière de Trump diffère et déconcerte. 

D’un côté, il tient un discours populiste à l’intention de sa base, composée principalement de citoyens très modestes. De l’autre, il adopte des politiques qui les désavantagent carrément et servent les intérêts des plus riches. Et, néanmoins, il conserve l’appui de ses fidèles. Comment est-ce possible ?

Une explication séduisante

Dans un ouvrage à paraître bientôt, deux universitaires américains, Paul Pierson (Berkeley) et Jacob S. Hacker (Yale), offrent une explication séduisante. Ils prennent à témoin trois domaines dans lesquels Trump est intervenu. On notera que ce ne sont pas des initiatives mineures ; au contraire, elles ont fortement marqué sa présidence jusqu’ici.

Il s’agit des mesures de déréglementation en matière d’environnement, de la nouvelle politique fiscale en faveur des nantis et de sa tentative (avortée) de détruire la législation de son prédécesseur dans le domaine de la santé (Obamacare).

Dans les trois cas, des sondages ont clairement démontré la grande impopularité de ces mesures, y compris auprès des milieux modestes, qui semblent avoir compris que Trump appauvrissait les moins fortunés pour donner davantage aux plus riches. Alors, pourquoi lui ont-ils conservé leur appui ?

Selon les deux chercheurs, Trump parvient à brouiller ses messages et à détourner l’attention de ses électeurs en exploitant d’autres thèmes qui exacerbent plusieurs de leurs frustrations.

C’est d’abord le racisme à l’endroit des Noirs, des Asiatiques et autres non blancs. C’est ensuite la méfiance et l’inimitié envers les immigrants, surtout les Latinos, qualifiés de violeurs et de meurtriers, contre lesquels il faut protéger les innocentes familles en prenant des mesures adéquates, notamment le mur (dont les experts disent qu’il sera inutile).

C’est aussi ce qu’on pourrait appeler un racisme inversé en faveur des Blancs eux-mêmes, lesquels seraient devenus les vraies victimes dans « leur » société. Selon Trump et son allié Fox News, ces bons Américains qui travaillent fort et doivent se contenter de peu sont depuis longtemps méprisés et sacrifiés par les élites libérales, qui ont créé une nouvelle classe de privilégiés, en l’occurrence tous ceux qui rejettent les vraies valeurs, n’apportent rien à la société et vivent à ses dépens. L’image souvent utilisée pour enfoncer cette idée, c’est celle d’honnêtes citoyens qui attendent sagement en ligne devant un guichet et ne devraient pas regimber quand des fainéants (lire : immigrants) leur passent sous le nez pour voler leur rang.

Ce genre de discours divise le pays en suscitant l’agressivité contre un éventail de boucs émissaires, en créant une galerie d’ennemis imaginaires et en fouettant les instincts primaires.

Trump en fait son profit en incarnant aux yeux des siens le bon sens et l’équité retrouvés, le redresseur de torts et même le sauveur.

C’est aussi le cavalier sans peur qui ne craint pas de bousculer les supposées règles de bienséance et de rectitude érigées pour étouffer la protestation du juste.

Un nationalisme sectaire est aussi mobilisé. La naïveté et l’idiotie des élites libérales les auraient conduites à sacrifier les intérêts vitaux du pays. Cédant aux sirènes de l’ONU, elles auraient flétri l’honneur national en rabaissant le pays au rang des petits États parasites qui vivent de ses largesses sans manifester de reconnaissance. Tout cela aurait entraîné la décadence de l’Amérique. Il presse désormais de servir ses vrais intérêts et de restaurer sa grandeur.

Finalement, les fidèles veulent bien pardonner à ce messie ses ambiguïtés, ses outrecuidances et ses excès, tout comme le font de nombreux évangélistes qui, souvent sans se méprendre sur la duplicité et la vulgarité du personnage, persistent néanmoins à voir en lui l’envoyé que Dieu, un peu mystérieusement, a choisi pour nettoyer les écuries d’Augias.

Déchéance morale

Car les États-Unis seraient encore une fois tombés dans une profonde déchéance morale dont témoignent éloquemment la banalisation de l’homosexualité et de l’avortement, le mariage entre personnes de même sexe et la confusion des genres sexuels établis par la Providence.

On se demande combien de temps encore durera ce régime de manipulation et de cynisme doublé d’une étrange alliance du ciel et de l’enfer.

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